La production biointensive
Au 19ème siècle, à Paris, des cultivateurs très innovants ont développé un système agricole parfois appelé le plus productif dans l’histoire de l’humanité. La raison d’être de ce système agricole ? Fournir la ville de Paris, alors la deuxième ville au monde, en légumes frais à l’année.
Les maraîchers de Paris, ainsi appelés parce qu’ils cultivaient les marais aux alentours de la ville, se sont servi de fumier de cheval, extrêmement abondant à l’époque, pour fertiliser leurs petites parcelles, qu’ils devaient cultiver très intensivement afin d’en tirer un revenu vivable.
Le fumier de cheval assurait non seulement la fertilité des sols, mais servait comme source de chaleur pour l’extension de la saison de croissance. Enfermé dans des « couches froides » construites en bois et vitre, le fumier réchauffait l’air et le sol autour des plants qu’y était cultivé à mesure qu’il se décomposait. À l’aide de leurs couches froides chauffées au fumier, protoypes de la serre chauffée moderne, les maraîchers parisiens récoltaient des choux-fleurs au mois de février, des melons charentais au mois de mai, du jamais vu dans le climat du nord de la France.
Dans le contexte nord-américain, c’est Eliot Coleman, fondateur de Four Seasons Farm dans l’état de Maine, qui s’est inspiré des techniques maraîchères parisiennes et les a popularisées par le biais de ses livres The New Organic Grower, publié en plusieurs éditions à partir de 1989.
Plus récemment, ici au Québec, Jean-Martin Fortier a élaboré encore un manuel exemplaire sur le maraîchage parisien, désormais baptisé le maraîchage « bio-intensif ».
Dans le Jardinier-Maraîcher, Jean-Martin et Maude-Hélène Desroches, fondateurs des Jardins de la Grelinette à Saint-Armand, nous expliquent comment ils ont réussi à faire vivre leur famille en cultivant 1.5 acres de légumes de manière intensive, ayant adapté les techniques des maraîchers Parisiens du 19ème au contexte nord-américain contemporain.
Le compost remplace le fumier de cheval, et les serres chauffées en acier inox et polythène font office de couches froides. Mais la culture maraîchère « bio-intensive » est sensiblement le même système de culture que celui développé par les maraîchers parisiens du 19ème.
Grâce en grande partie à le Jardinier-Maraîcher, la culture bio-intensive vie une renaissance en ce moment : de plus en plus de fermes maraîchères biologiques, au Québec comme partout dans le monde, choisissent l’approche bio-intensive. Plusieurs cultivateurs en herbe apprécient l’échelle humaine de la production bio-intensive, qui peut se pratiquer sans tracteur. De plus, il peut se pratiquer sur de petites terres à proximité des centres urbains, un avantage très important dans un monde ou les prix immobiliers ne cessent d’augmenter.
Certains des descendants ces jardiniers ont réussi à poursuivre leurs activités jusqu’aux années 1960, mais la plupart on dû abandonner la culture maraîchère à mesure que la Ville de Paris s’agrandissait et avalait leurs terres. L’arrivée du tracteur et des énergies fossiles ont également contribué au déclin des jardins à proximité du centre urbain de Paris ; il était plus simple et moins dispendieux de produire de légumes de manière extensive à l’échelle industrielle et de les transporter partout dans le pays, voir le monde.
Mais les maraîchers Parisiens n’ont pas disparu sans nous léguer un manuel assez complet de leurs techniques de production, le Manuel pratique de la culture maraîchère de Paris, issu d’une compétition pour la rédaction d’un tel ouvrage tenue en 1842. De plus, la tradition de la culture maraîchère intensive s’est transmis de cultivateur en cultivateur jusqu’à nos jours.